dimanche 14 juin 2009

Le Petit Chaperon rouge - Perrault, 1697


Gravure d'Antoine Clouzier - 1697
Gravure d'Antoine Clouzier, 1697


Texte du deuxième tirage sorti des presses de Claude Barbin en 1697.
L'orthographe a été modernisée, des guillemets et des tirets ont été introduits dans les dialogues. La disposition originale des strophes et des alinéas a été respectée, ainsi que l'emploi de l'italique et des majuscules.



Le Petit Chaperon rouge

Conte

Il était une fois une petite fille de Village, la plus jolie qu’on eût su voir ; sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si bien, que partout on l’appelait le Petit chaperon rouge.

Un jour, sa mère, ayant cuit et fait des galettes, lui dit : « Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade ; porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. » Le Petit Chaperon rouge partit aussitôt pour aller chez sa mère-grand, qui demeurait dans un autre Village. En passant dans un bois elle rencontra compère le Loup, qui eut bien envie de la manger ; mais il n’osa, à cause de quelques Bûcherons qui étaient dans la Forêt. Il lui demanda où elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas qu’il est dangereux de s’arrêter à écouter un Loup, lui dit : « Je vais voir ma Mère-grand, et lui porter une galette avec un petit pot de beurre que ma Mère lui envoie.Histoires, ou Contes du tems passé : avec des moralités (Nouv éd. augm. d'une nouvelle à la fin) / par M. Perrault - La Haye, 1742. — Demeure-t-elle bien loin ? lui dit le Loup. — Oh ! oui, dit le petit chaperon rouge, c’est par-delà le moulin que vous voyez tout là-bas, à la première maison du Village. — Hé bien, dit le Loup, je veux l’aller voir aussi ; je m’y en vais par ce chemin ici, et toi par ce chemin-là, et nous verrons qui plus tôt y sera. » Le loup se mit à courir de toute sa force par le chemin qui était le plus court, et la petite fille s’en alla par le chemin le plus long, s’amusant à cueillir des noisettes, à courir après des papillons, et à faire des bouquets des petites fleurs qu’elle rencontrait. Le loup ne fut pas longtemps à arriver à la maison de la Mère-grand ; il heurte : Toc, toc. « Qui est là ? — C’est votre fille le petit chaperon rouge (dit le Loup, en contrefaisant sa voix) qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma Mère vous envoie. » La bonne Mère-grand, qui était dans son lit à cause qu’elle se trouvait un peu mal, lui cria : « Tire la chevillette, la bobinette cherra. » Le Loup tira la chevillette, et la porte s’ouvrit. Il se jeta sur la bonne femme, et la dévora en moins de rien ; car il y avait plus de trois jours qu’il n’avait mangé. Ensuite il ferma la porte, et s’alla coucher dans le lit de la Mère-grand, en attendant le petit chaperon rouge, qui quelque temps après vint heurter à la porte. Toc, toc. « Qui est là ? » Le petit chaperon rouge, qui entendit la grosse voix du Loup, eut peur d’abord, mais croyant que sa Mère-grand était enrhumée, répondit : « C’est votre fille le petit chaperon rouge, qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma Mère vous envoie. » Le Loup lui cria en adoucissant un peu sa voix : « Tire la chevillette, la bobinette cherra. » Le petit chaperon rouge tira la chevillette, et la porte s’ouvrit. Le Loup, la voyant entrer, lui dit en se cachant dans le lit sous la couverture : « Mets la galette et le petit pot de beurre sur la huche, et viens te coucher avec moi. » Le petit chaperon rouge se déshabille, et va se mettre dans le lit, où elle fut bien étonnée de voir comment sa Mère-grand était faite en son déshabillé. Elle lui dit : « Ma mère-grand, que vous avez de grands bras ! — C’est pour mieux t’embrasser, ma fille. — Ma mère-grand, que vous avez de grandes jambes ! — C’est pour mieux courir, mon enfant. — Ma mère-grand, que vous avez de grandes oreilles ! — C’est pour mieux écouter, mon enfant. — Ma mère-grand, que vous avez de grands yeux ! — C’est pour mieux voir, mon enfant. — Ma mère-grand, que vous avez de grandes dents ! — C’est pour te manger.1 » Et en disant ces mots, ce méchant Loup se jeta sur le petit chaperon rouge, et la mangea.


Jacques de Sève (dessins), Simon Fokke (gravure) - 1742
Jacques de Sève (dessins), Simon Fokke (gravure) - 1742


MORALITÉ

On voit ici que de jeunes enfants,
______Surtout de jeunes filles
______Belles, bien faites, et gentilles,
Font très mal d’écouter toute sorte de gens,
______Et que ce n’est pas chose étrange,
______S’il en est tant que le loup mange.
______Je dis le loup, car tous les loups
______Ne sont pas de la même sorte ;
______Il en est d’une humeur accorte,
______Sans bruit, sans fiel et sans courroux,
______Qui privés, complaisants et doux,
______Suivent les jeunes Demoiselles
Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles ;
Mais hélas ! qui ne sait que ces Loups doucereux,
______De tous les Loups sont les plus dangereux.



Charles Perrault, Histoires ou Contes du temps passé. Avec des moralités.
Paris: Claude Barbin, 1697


1 Le manuscrit de 1695 note en marge : « On prononce ces mots d'une voix forte pour faire peur à l'enfant comme si le loup l'allait manger. » Les enfants aussi jouaient au loup. Le mathématicien Jacques Le Pailleur narre dans une épître rimée comment vers 1640, Marie-Madeleine de La Vergne, la future romancière madame de La Fayette, excellait à se couvrir la tête de son devanteau (sorte de tablier) et à « faire le loup » pour effrayer la compagnie. Quant à Pierre Larousse, dans son Grand Dictionnaire universel, il raconte : « Je me rappellerai toujours — j'avais cinq ans alors — que, monté sur une table, on me faisait déclamer un soir Le Petit Chaperon rouge. Arrivé à la dernière péripétie du drame, au moment où le loup dit "C'est pour mieux te croquer, mon enfant", j'ajoutai tellement l'action à la parole, qu'il m'arriva de dégringoler. Si au moins il y avait eu des tapis ! mais c'était dans un pauvre village de la Basse-Bourgogne ! Le Petit Chaperon rouge est aussi un des contes favoris de mon petit bébé, Antonine ; mais quand l'enfant arrive à la ritournelle fatale, le papa, instruit par sa propre expérience, songe à sa bosse d'autrefois et avance machinalement la main. »


2 commentaires:

Anonyme a dit…

... Bravo !!! ...

alain a dit…

Bonjour.

C'est à cause de cette histoire qu'on a massacré les loups , les enfants ont peur des loups et pas des ours (nounourse) qui sont 1000 fois plus dangereux.
Je vais prévenir Brigitte Bardot !

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